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La revue « Ingénierie Cognitique » s’est donné pour mission de publier les textes scientifiques, technologiques, épistémologiques et philosophiques concernant les technologies et méthodes cognitives, c’est-à-dire celles utilisées pour connaître la cognition humaine, mais également les conséquences de sa mise en oeuvre et les moyens de l’action que l’on peut avoir sur elle.
Ce numéro spécial de la revue rassemble un ensemble de textes composés par les chercheurs de deux collectifs français impliqués d’une part, dans un programme de recherche polémologique GECKO (Laboratoire de conception pour la guerre cognitive) et d’autre part dans un réseau consacré à l’action cognitive conflictuelle, CIVIL. Les textes sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et visent à donner une base de réflexion thématique à la poursuite de certains travaux initiaux francophones sur le sujet de la « guerre cognitive ».
Cet article pose les éléments d’une problématisation de la guerre cognitive d’un point de vue sémiotique. On y propose un quadrillage phénoménologique de la guerre cognitive en termes de cibles et d’attaques puis une discussion sur les créations symboliques et culturelles comme porteuses d’une autorité, d’une légalité qui fait société. On s’intéressera au récit national comme création symbolique nécessaire au vivre ensemble, susceptible d’attaques hostiles mais pièce maitresse d’une défense cognitive à inventer. Il évoquera enfin la question du numérique qui constitue une faille intrinsèque au système de « défense culturelle » des démocraties.
Cet article aborde la problématique de la culture civile de la guerre cognitive qui est très rarement prise en compte. En effet en dehors de la confrontation militaire, on peut considérer ici trois autres types de confrontation. La confrontation idéologique et culturelle, à savoir les moyens cognitifs utilisés pour déstabiliser ou chercher un système d’idéologie dominante. La confrontation géo-économique, toutes les manoeuvres informationnelles liées à la guerre économique. La confrontation sociétale, intrusions des acteurs de la société civile dans les problèmes économiques. Les acteurs de ces problématiques sont issus du monde civil et non du monde militaire.
Le concept de « guerre cognitive » (dans son acception « occidentale ») n’est apparu que récemment au Vietnam. Travailler sur le champ sémantique de ce concept (comme d’autres récemment empruntés) permet d’en comprendre le cheminement et la perception que peuvent en avoir les autorités vietnamiennes. Pourtant, au-delà de cette étude sémantique, il est nécessaire de s’intéresser et de comprendre les traditions militaires vietnamiennes, notamment la guerre révolutionnaire, pour voir comment elles peuvent constituer un terreau favorable à « l’absorption » rapide de ce concept « importé » et permettre sa réutilisation sous une forme « vietnamisée » soit dans un cadre militaire ou civil au service de l’influence de ce pays.
Le Japon a récemment modifié sa posture de défense et a développé une architecture de défense propre au pays incluant des éléments de guerre cognitive. L’article étudie les publications du gouvernement japonais pour analyser la manière dont le pays conceptualise la guerre cognitive en lien avec son environnement sécuritaire et se positionne comme acteur de la guerre cognitive à travers une posture de défense active. Certains points saillants de la réflexion japonaise sont étudiés, comme l’utilisation des narratifs ou l’accent mis sur la technologie pour « défendre [la] nation en tout temps ».
Les guerres cognitives et informationnelles sont redoutées dans l’Union européenne (UE). L’Europe tente de se protéger contre l’influence étrangère qui porte atteinte à ses valeurs et à ses intérêts économiques. Le Parlement européen a appelé à des réponses face aux attaques cognitives à caractère civil contre l’ensemble de la société. Toutefois, les parties prenantes des processus décisionnels européens pratiquent aussi la guerre cognitive. Ils utilisent une terminologie moins provocatrice sur la scène européenne très politiquement correcte. Ainsi, l’influence de réputation ou le lobbying stratégique permettent de créer des référentiels de pensée qui sécurisent leurs intérêts dans l’UE. Cet article, à l’appui d’exemples concrets, identifie la perception de la guerre cognitive dans l’UE et la manière de la pratiquer pour façonner la conception des décisions européennes.
En démocratie représentative, l’accès au pouvoir se fait au moyen d’élections. Ainsi les acteurs dans le champ politique, par les modes discursifs qu’ils utilisent, ont recours aux techniques de la guerre cognitive afin de façonner les représentations et les perceptions de l’opinion publique et de sa composante électrice. Il s’agit d’obtenir une supériorité cognitive sur leurs adversaires dans l’esprit du corps électoral. Nous débroussaillerons le recours aux concepts et techniques de la guerre cognitive dans le champ politique français dans ses aspects rhétoriques et idéologiques comme outils de supériorité cognitives. Nous analyserons la recherche de l’hégémonie culturelle comme poursuite d’un encerclement cognitif de masse.
L’influence cognitive orientée consiste, notamment pour ce qui est du domaine de la guerre cognitive, à altérer, modifier ou empêcher le déroulement autonome de la pensée d’une cible humaine. Ces interventions peuvent avoir des conséquences durables sur les personnes ciblées, voire définitives. Plusieurs méthodes sont utilisées dont certaines relèvent de la psychologie ou de la médecine, ce qui pose évidemment le problème de l’éthique de telles pratiques dans un exercice illégal de professions protégées.
Cet article vise à souligner la forte intrication entre guerre cognitive et des développements technologiques (en premier lieu le smartphone et les réseaux sociaux). Plus précisément, il montre que la dépendance technologique dans les sphères personnelles et professionnelles permet mais également facilite la guerre cognitive. L’article argumente ensuite sur la nécessité qui s’impose aux sociétés démocratiques de mieux questionner les conséquences de cette dépendance technologique.
Alors que la guerre de l’information va consister à modifier une action de manière limitée, la guerre cognitive va tenter de modeler la cible pour contrôler ses intentions en lui fournissant des grilles de lecture adéquates. La génétique, l’expérience et la culture mise en exergue dans la phase d’orientation de la boucle OODA sont dès lors autant de terrains où il va s’agir d’encercler cognitivement l’adversaire de manière profonde et durable.
La guerre cognitive est définie de différentes manières, et les principales approches concernent les phénomènes sociaux, de communication largement collective et partagée, et mobilisent l’attention sur des groupes ou des sociétés cibles. Néanmoins, s’appuyant sur les technologies de la physique de l’information et de l’intelligence artificielle, un volet de ciblage de la guerre cognitive se différencie en abordant l’action sur des niveaux de compétences cognitives du cerveau des victimes dont le fonctionnement est ainsi altéré.
La communication humaine se heurte très souvent à de l’incommunication. Le récepteur n’est pas toujours en phase, ni disponible pour converser, ni même disposé à écouter, et c’est l’incommunication qui s’installe. Mais avec les nouveaux outils techniques dédiés à la communication, il devient possible d’engendrer volontairement des situations d’incommunication. Pour sortir de cette situation, les études sur la communication nous indiquent deux solutions : laisser au récepteur un temps entre son information et sa communication, ou bien proposer à l’émetteur un espace de négociation. Nous voyons là deux pistes à explorer pour contrer des attaques de type « guerre cognitive ».
Afin de travailler sur la dimension processuelle de la cognition dans le cadre de la guerre cognitive, il semble intéressant de se pencher sur la résilience cognitive. L’accent est mis dans cette perspective sur la pédagogie pour y préparer, et notamment l’utilisation de jeux sérieux. L’article met en lumière le wargaming vu comme processus de co-construction permettant un recul réflexif des concepteurs tout autant que des joueurs.
Cet article plaide pour le développement pérenne d’un « design lab »sur la sécurité cognitive selon six grands principes : (1) un centrage de l’analyse sur l’acteur, (2) une attitude prospective, (3) une cohérence horizontale et verticale, (4) une agilité dans l’organisation des expérimentations, (5) une rapidité d’exécution et (6) une intégration itérative des résultats dans une perspective de prototypage de solution. Ces six principes combinés soulignent la nécessité pour les opérations cognitives d’être fondées sur une compréhension dynamique de la population ciblée (c’est-à-dire basée sur les concepts et le système de pensée propres aux personnes étudiées), appliquée de manière intégrée et synchronisée dans l’ensemble de « l’organisation » (et de ses partenaires) et dans une temporalité contrainte qui permettent la mise en place d’une stratégie de dissuasion adaptée.
Dans une ère où la technologie et les données définissent l’expérience quotidienne, le microciblage comportemental émerge comme une stratégie clé dans la formation des perceptions individuelles et collectives. L’analyse de l’audience joue un rôle central, permettant de comprendre les motivations et les attitudes des groupes cibles, tandis que le data mining et l’intelligence artificielle renforcent la précision du ciblage par son automatisation et son adaptation en temps réel. En combinant ces techniques, les actions d’influences trouvent une amplitude nouvelle dans leur réalisation pratique.
La recherche sur le comportement peine à objectiver l’influence générale des réseaux sociaux, et donc son impact sur les combattants. Cependant, le fonctionnement des trois plus consultés d’entre eux reposant sur la manipulation du cerveau de l’utilisateur à son insu, il paraît opportun de poursuivre les recherches plus avant, afin de mieux comprendre les mécanismes, et de mieux identifier les dangers potentiels. Trop souvent associés à un danger pour les adolescents, les réseaux sociaux cherchent à influer de manière implicite aussi bien qu’explicite sur les comportements de tous leurs utilisateurs. Cet article invite à prendre conscience de la dangerosité potentielle des réseaux sociaux et de la nécessité d’apprendre à se protéger.
En conclusion de ce numéro spécial sur la guerre cognitive se pose la question de sa réelle perceptibilité, de ce qu’il en est des cas de « faux positifs », et des carences affectant l’étude de cet objet de recherche. Plusieurs pistes de réflexion se dessinent.