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Vol 3 - Numéro 1 :
Journées Bois

Archéologie, société et environnement


Liste des articles

Présentation
Paul Bacoup, Juliette Taïeb

Ce numéro spécial de la revue Archéologie, société et environnement (vol. 3, no 1) est consacré à la publication des actes des rencontres internationales intitulées « Journées bois. Échanges interdisciplinaires sur le bois et les sociétés » organisées les 18 et 19 octobre 2021 à l’INHA à Paris. L’objectif de ces journées était de faire dialoguer toutes les approches d’étude du bois, sans aucune barrière géographique, aucune limite chronologique, quelle que soit la discipline d’approche.


Éditorial. Journées Bois : Échanges interdisciplinaires sur le bois et les sociétés
Paul Bacoup, Juliette Taïeb

Ce texte introduit la publication des actes des rencontres internationales intitulées « Journées bois : Échanges interdisciplinaires sur le bois et les sociétés » organisées les 18 et 19 octobre 2021 à l’Institut National d’Histoire de l’Art à Paris. Au cours de ces deux journées, trente-trois communications et neuf posters ont été présentés par des chercheur•euse•s et étudiant•e•s en sciences naturelles et en sciences humaines, mais également par des architectes, des ingénieur•e•s et des artisan•e•s à travers quatre thématiques différentes : i) méthodes et techniques d’étude du matériau bois en contexte archéologique, ii) ressources en bois, climat, sociétés – reconstitution des milieux et des interactions, iii) artisans du bois, et iv) bois dans les sociétés – analyse des techniques de travail du bois. L’objectif de ces journées était de faire dialoguer toutes les approches d’étude et de travail du bois possibles, sans aucune barrière géographique, aucune limite chronologique, quelle que soit la discipline d’approche. Ces actes regroupent vingt-deux articles tirés des communications et posters présentés durant les Journées Bois.


Le bois dans un état de conservation inattendu. À la recherche des traces d’aménagements néolithiques et protohistoriques sur sols acides bien drainés (Belgique, nord de la France)
Kai Fechner, Clément Menbrivès, Frédéric Broes, Hugues Doutrelepont(†), Olivier Vrielynck

Des structures d’habitats néolithiques et des sépultures protohistoriques implantées sur des limons bien drainés et profondément décarbonatés ont révélé des traces noirâtres horizontales et litées appelées laminations argileuses sombres. Des analyses micromorphologiques et botaniques permettent de les rattacher à des éléments en bois liés à des aménagements ou contextes anthropiques spécifiques (fours, fosses, tombes à inhumation, fossés…). Les études archéopédologiques et botaniques avaient permis de préciser la nature diversifiée de ces contextes et aménagements, leur fonction et leur mode de conservation. Une nouvelle étude d’une partie des lames minces par un botaniste et micromorphologue précise et nuance ce propos.


Une lame à fendre des « bois » : comment travailler les matières dures d’origine végétale et animale au Magdalénien ancien (Taillis des Coteaux, Vienne) ?
Margot Damery, Claire Houmard

Au Paléolithique récent, l’essor que connaît le travail des matières osseuses reflète une diversité de techniques. Le fendage s’inscrit au sein de cette diversité technique, au même titre que le double rainurage longitudinal. Ces deux techniques consistent à détacher des supports allongés. Parce que souvent passé inaperçu, le fendage est rarement identifié au Magdalénien. Notre étude nous a permis de questionner sa présence parmi les pratiques techniques dédiées à l’industrie osseuse pour cette période, en s’interrogeant sur ses modalités d’application et ses liens avec la sphère végétale. Le bois végétal, qui est parfois exceptionnellement préservé pour le Magdalénien, est quasiment absent au Taillis des Coteaux (Vienne). L’emploi du fendage nous permet indirectement d’aborder la question d’une interaction technique dans le travail des matières dures issues du monde végétal et animal. Nous proposons dans cet article de poser un nouveau regard sur ce choix technique, en l’étudiant de manière systémique autour des différents matériaux impliqués, à l’aide d’une analyse technique et structurelle des outils, couplée aux résultats des tout premiers tests expérimentaux que nous avons conduits. Cette partie du travail a permis de reconnaître des actions de fendage dans les niveaux du Magdalénien ancien du Taillis des Coteaux (17 500–16 900 BP) et d’en décrire les stigmates laissés sur les déchets de débitage et les potentiels outils employés.


Apports du wiggle-matching aux études dendroarchéologiques de sites côtiers Birnirk et Thule dans le nord de l’Alaska
Juliette Taïeb, Valérie Daux, Claire Alix, Christine Hatté

Le long des littoraux nord alaskiens, les bois d’architecture des sites archéologiques des cultures Birnirk et Thulé sont extrêmement bien conservés et ont le potentiel de documenter les variations climatiques et les transformations culturelles du début du IIe millénaire de notre ère dans le nord-ouest de l’Alaska. Dans ce milieu de toundra sans arbres, les bois flottés provenant de la forêt boréale et transportés par les principaux fleuves de l’intérieur et les courants océaniques constituent la principale ressource en bois. Si, dans le nord de l’Alaska, certains bois archéologiques peuvent être datés à l’aide des rares séquences dendrochronologiques millénaires, beaucoup proviennent de zones géographiques où les chronologies de largeurs de cernes sont trop courtes (300-350 ans). Nous explorons ici les possibilités offertes par la méthode de datation à haute résolution du wiggle-matching pour situer avec précision dans le temps calendaire les bois non datés par la dendrochronologie conventionnelle et pour développer des chronologies préliminaires. Nous présentons ici les résultats du wigglematching basés sur 75 datations radiocarbone de huit pièces de bois archéologiques provenant des sites côtiers nord-alaskiens de Piġniq, Rising Whale et Pingusugruk. Le wiggle-matching de ces bois appartenant à des séquences flottantes a permis de contraindre au plus près l’intervalle calendaire dans lequel se situe le dernier cerne de croissance présent et de positionner dans le temps calendaire 22 bois archéologiques. Ces datations ouvrent de nouvelles perspectives pour la datation croisée d’autres bois d’architecture Birnirk and Thule, et pour l’analyse des variations climatiques du début du II e millénaire de notre ère dans différentes régions d’Alaska.


Édifier une enceinte palissadée monumentale au Néolithique récent : ressources, exploitation, acheminement et utilisation des troncs de chênes (La Villeneuve-au-Châtelot, Aube)
Delphine Ravry, Sandy Poirier, Willy Tegel, Jérôme Brenot

Au Néolithique récent, la mise en place d’une palissade monumentale marque le paysage de la vallée de la Seine aux environs de La Villeneuve-au-Châtelot (Aube). Fait remarquable, plus de 500 pièces de chêne ont été conservées grâce à la nappe alluviale affleurante. Ce corpus offre un jeu de données exceptionnel pour analyser l’environnement dans lequel cet aménagement a été construit en 3232 BCE. Les campagnes de fouilles préventives ont permis de restituer le paysage d’un milieu alluvial dominé par un environnement palustre stable durant trois millénaires (du Néolithique ancien à l’Âge du Bronze). Les études dendrochronologiques mettent en évidence une croissance des bois utilisés en forêt primaire, permettant de s’interroger sur la provenance des arbres et la distance sur laquelle se faisait l’approvisionnement. Cette matière première était ensuite acheminée vers le lieu d’installation : on trouve de nombreuses encoches sur la base des fûts, qui pourraient indiquer une méthode de transport et/ou une méthode de mise en place du bois dans l’étroite tranchée fossoyée. Des traces d’outils indiquent la manière dont les artisans les ont façonnés. Ces études environnementales et dendrochronologiques apportent un éclairage sans précédent sur l’histoire de la forêt et permettent une compréhension approfondie des relations entre l’Homme et l’environnement. À partir de la datation dendrochronologique précise des artefacts archéologiques, elle donne un aperçu du développement technologique et quelques réponses à des questions d’ordre paléoécologique.


Les bois archéologiques de l’Égypte romaine : entre essences locales et importées. Potentiel dendrochronologique pour une lecture climatique…
François Blondel

Les bois archéologiques d’époque romaine découverts en Égypte sont pour la plupart dans un bon état de conservation en raison du milieu aride. Leur analyse, qu’elle soit xylologique ou dendrochronologique permet d’aborder plusieurs problématiques : provenance des essences, modes de débitage et usages du bois, mais aussi environnement. En effet, les arbres sont des archives naturelles qui au travers de la lecture de leurs cernes de croissance livrent de précieuses données sur leur environnement (type de peuplement, transformation de leur milieu, tendance climatique, etc.). En Égypte, la plupart des essences d’arbres locales, se développant aux abords du Nil et dans les principales oasis, sont fortement conditionnées par le climat et les épisodes de crue. Ces arbres constituent de parfaits candidats pour restituer les variations climatiques pour cette partie de l’Empire, mais présentent peu de cernes, ces derniers n’étant pas toujours lisibles et s’interdatant difficilement. L’étude des bois importés, particulièrement nombreux dans le domaine funéraire, notamment ceux de conifères (cèdre, pins, genévrier, etc.), offre alors de plus grandes possibilités dendrochronologiques. L’analyse conjointe de ces bois locaux et importés permet de confronter des espèces ainsi que des modes de croissance de plusieurs origines géographiques aux climats parfois contrastés. Cet article présente les premiers résultats obtenus à partir de plusieurs collections d’objets en bois de l’Égypte romaine, incluant des étiquettes de momie. Cette recherche en cours s’intègre au sein d’un projet FNS pluridisciplinaire, dirigé par Sabine R. Huebner, au sein des universités de Bâle et de Genève, qui traite de l’interaction entre les changements climatiques, le stress environnemental et les transformations sociétales de l’Empire romain au courant du IIIe siècle de notre ère.


Contraindre la Loire au XVIIe siècle : histoire et archéologie des digues de Saint-Père / Sully-sur- Loire (45)
Annie Dumont, Marion Foucher, Catherine Lavier, Philippe Moyat

Entre Saint-Père-sur-Loire et Sully-sur-Loire (45), trois structures linéaires ont été découvertes dans le lit du fleuve. La plus ancienne, incomplète, datée du XIIIe siècle, est constituée d’au moins trois rangées de pieux en chêne ; les deux autres structures ont été construites plus de 400 ans plus tard, au tout début du XVIIe siècle. Celles-ci sont formées de rangées parallèles de pieux contre lesquelles sont disposées des planches sur chant, et s’étendent sur toute la largeur de la Loire. Elles se rejoignent sur la rive gauche pour former un vaste triangle. Une enquête historique a permis d’en connaître le constructeur et la fonction : il s’agit de digues de contrainte destinées à protéger le parc et le château de Sully. La fonction de la structure médiévale reste incertaine : pêcherie et/ou benne de moulins-bateaux sont deux possibilités. Ces vestiges constituent un exemple complexe d’aménagements fluviaux réalisés à deux périodes distinctes, l’une réputée plutôt favorable, le XIIIe siècle, qualifiée de petit optimum climatique, l’autre, le début du XVIIe siècle, étant marquée par le Petit Âge Glaciaire. Leur analyse a livré des éléments inédits sur l’aménagement de la Loire et de la ressource en bois aux époques médiévale et moderne.


Secrets d’échantillon pour une dendrochronologie de précision
Sarah Cremer, Pascale Fraiture, Christophe Maggi, Armelle Weitz

La dendrochronologie offre la possibilité de déterminer la période de construction d’un élément architectural en datant l’abattage des arbres qui y sont mis en oeuvre. Des échantillons de bois ayant conservé leur cambium sont datés à l’année près, permettant de définir les phases d’abattage ayant été nécessaires à la construction des édifices. À travers six exemples étudiés en Belgique au laboratoire de dendrochronologie de l’IRPA, le présent article explique comment l’information dendrochronologique peut également être utilisée pour améliorer notre compréhension de l’approvisionnement, premier maillon de la chaîne opératoire, intimement lié au déroulement de la construction. Un échantillonnage dendrochronologique avisé, combiné à des observations archéologiques, permet de dater et de retracer avec précision l’évolution de la construction de grands ensembles architecturaux, de comprendre le chantier avant et après un évènement marquant comme un incendie ou une destruction, de restituer les aménagements intérieurs successifs et les espaces de circulation, mais aussi d’appréhender indirectement le travail réalisé en amont et pendant le chantier. L’établissement de datations précises fournit des informations précieuses sur les sources d’approvisionnement et leurs gestions (provenance locale ou importation, abattage programmé ou opportuniste, essences exploitées, nombre de coupes successives, calendrier d’abattage, etc.). Les études dendrochronologiques permettent également d’observer la diversité des ressources forestières du territoire se retrouvant dans les charpentes et d’aborder la relation entre qualité du bois et adaptations structurelles des fermes de charpente.


Bois et espaces boisés : en user et y vivre Le paradigme des artisans du chêne et du genévrier au XXe siècle en Provence
Ada Acovitsiòti-Hameau, Philippe Hameau

À la fin du XIXe siècle, deux artisanats changent de forme et/ou d’acteurs en Moyenne-Provence : le charbonnage et la distillation du genévrier oxycèdre. Les connaissances réciproques et intimes des lieux où ses artisans opèrent, des essences végétales qu’ils manipulent et du feu contenu qui transforme celles-ci les réunissent dans un statut d’hommes des bois, qu’ils revendiquent et qui leur est reconnu. Leur espace commun d’action est la “colline” provençale. Chaque artisan est amené à tirer parti des potentialités de cet espace multiforme, jugé répulsif, afin d’y vivre, d’y oeuvrer et d’y pérenniser son activité par un entretien permanent des lieux et du couvert forestier. Le feu du four, terme commun aux deux artisanats, est secret parce que non visible. Sa conduite est appréciée par des percepts sensoriels, visuels, olfactifs et auditifs qui expriment les états de la conversion du matériau. Notre réflexion repose sur des relevés de structures, des expérimentations, des enquêtes ethnographiques et des travaux en archives. Les acquis de ces recherches dépassent le terrain provençal et l’époque contemporaine. Leur perspective comparative et diachronique permet d’entrevoir des constantes techniques et anthropologiques et de positionner les métiers et les espaces concernés au coeur de la construction des mémoires collectives qui fondent les identités rurales.


Time4WoodCraft – le temps des artisans du bois, le temps des bois d’artisanats – une exploration transdisciplinaire
Iris Brémaud, Claire Alix, Bernadette Backes, Pierre Cabrolier, Katarina Čufar, Nicolas Gilles, Michael Grabner, Joseph Gril, Miyuki Matsuo-Ueda, Nelly Poidevin, Olivier Pont, Samuel Rooney

Les dimensions multiples du temps sont omniprésentes dans le bois et dans les artisanats. Les artisanats se conjuguent aux temps historiques, d’apprentissage et d’expérience, aux rythmes et traces du geste, aux temps et sens du travail, au temps perçu et à la perception de la matière. Le temps biologique et géophysique est inscrit dans le bois de l’arbre. Le temps physique gouverne le comportement mécanique du matériau-bois. Un projet transdisciplinaire, nommé Time4WoodCraft car « il est temps » de repenser notre rapport au temps et au Vivant, veut faire dialoguer les 4 points de vue des sciences humaines et sociales, physiques et des matériaux, du vivant et de l’environnement, et des praticiens artisans du bois. Pour aborder ce vaste sujet, la recherche s’organise en trois niveaux réalistes imbriqués. Une exploration large se base sur l’échange de savoirs entre domaines scientifiques et du travail du bois, et sur la collecte de sources écrites. Des études de cas qui connectent savoirs artisanaux et analyses de laboratoires sont examinées dans trois directions : perception et mesures de marqueurs temporels du bois ; changements au cours du temps dans les bois choisis pour un usage spécifique ; différentes significations du vieillissement du bois. Des entretiens sont ciblés sur l’importance du temps dans le travail des artisans du bois. Ces corpus seront utilisés pour cartographier des connexions entre les dimensions physiques, biologiques et culturelles du temps dans les artisanats du bois et les bois d’artisanats.


Les charpentiers de bois tors. Travailler avec le bois de charpenterie de marine
Théo Lebouc

Trouver le bois approprié pour réaliser une pièce est une préoccupation constante des charpentiers de marine. Ces artisans qui fabriquent et restaurent des bateaux en bois doivent considérer de multiples paramètres pour faire leur choix. Ils sont particulièrement attentifs au fil du bois. Pour être résistantes, les pièces doivent être taillées dans du « bois de fil », c’est-à-dire dans du bois dont l’orientation des fibres correspond à la forme de la pièce souhaitée. Or, la coque d’un bateau est majoritairement constituée de formes courbes aux évolutions changeantes. Les charpentiers de marine s’orientent donc vers des arbres ayant des courbes, ce qu’ils nomment du « bois tors » ou encore du « bois de marine ». La difficulté à se procurer ces formes particulières de bois ainsi que la prise en compte des défauts et des contraintes propres à chaque bille obligent les charpentiers de marine à faire des compromis et des concessions pour choisir un bois dans lequel ils pourront faire leur pièce. En s’appuyant sur une ethnographie menée depuis plusieurs années dans des chantiers professionnels et des centres de formation, cet article décrit la manière dont les charpentiers de marine lisent et jugent le bois. Le cas des techniques permettant de contourner la difficulté à trouver du « bois tors » en créant des formes courbes à partir de bois droit sera également étudié. Tout cela permettra d’éclairer cet aspect exigeant de l’activité des charpentiers de marine qu’est la recherche du bois.


Patrimonialisation et transformation des modèles de transmission des techniques de menuiserie en Corée du Sud
Chloé Paberz

En 2017, lors d’une enquête ethnographique en Corée du Sud, je fais la rencontre d’une jeune artiste. Elle tient à me présenter son maître, un menuisier sur le point d’acquérir le titre de Trésor national vivant. Le sexagénaire, lui, rechigne à la considérer comme sa disciple : elle ne vient que lorsqu’elle a besoin d’aide pour ses projets artistiques, au lieu de s’engager pleinement afin d’acquérir, jour après jour, l’expérience nécessaire pour éprouver, comprendre et travailler le bois, matériau vivant et imprévisible. Le titre de Trésor national vivant constitue la plus haute distinction dans un système de grades extrêmement formalisé, mis en place dans les années 1960 dans le but de sauvegarder des savoir-faire menacés. À partir de cet exemple, nous verrons comment l’attribution de titres prestigieux mobilise des représentations à la fois de l’artisan, de son art, et de formes de transmission qui impliquent une conception particulière du matériau bois.


Fabriquer ses ruches, est-ce prendre soin des abeilles ?
Anna Dupleix, Pascale Moity-Maïzi, Étienne Amiet, Delphine Jullien

Depuis le XIXe siècle, les formats de ruches se standardisent, les apiculteurs, peu à peu libérés de la contrainte de fabrication, perdent du même coup leurs connaissances et leur autonomie en matière de choix de ruches. Aujourd’hui, certains apiculteurs qui ont encore des compétences de fabrication conçoivent leurs ruches et travaillent eux-mêmes le bois. Ils s’inscrivent volontairement en faveur d’une apiculture durable et résiliente face aux changements environnementaux. Leurs choix techniques originaux témoignent de leur désir de reconstruire une relation humain-nature en fabriquant leurs propres ruches. Les résultats de notre enquête explorent les différents facteurs qui expliquent leur autonomie : proximité géographique à la ressource, réseau social localisé et maîtrise d’un savoir-faire signalent une véritable culture du bois. Ces résultats montrent aussi comment ces apiculteurs pensent et reconstruisent des liens avec le vivant marqués par l’attention et le soin.


Le travail du bois des premières sociétés agricoles d’Europe centrale
Bernhard Muigg, Rengert Elburg, Wulf Hein, Anja Probst-Böhm, Sebastian Böhm, Peter Walter, Willy Tegel

Le processus de néolithisation a atteint l’Europe centrale au VIe millénaire avant notre ère. À cette époque, il est possible, pour la première fois, de prendre en considération l’impact des sociétés humaines sur la végétation naturelle. La sédentarisation, l’agriculture et l’élevage ont imposé de nouvelles exigences aux forêts locales. Dans le même temps, l’utilisation intensive du bois a donné lieu à d’importantes innovations et avancées techniques concernant le travail du bois. Nous présentons ici un aperçu des derniers résultats de notre étude sur le travail du bois au Néolithique ancien. Plusieurs puits de la culture rubanée (ou culture à céramique linéaire, ou plus simplement le Rubané ; en allemand Linienbandkeramische Kultur ou Linearbandkeramik, abrégé en LBK), dont les parois ont des revêtements en bois encore préservés, ont été fouillés au cours des deux dernières décennies et offrent un aperçu détaillé des compétences avancées en matière de menuiserie. En suivant une approche multidisciplinaire, des études dendroarchéologiques et expérimentales sont combinées pour fournir un aperçu complet des méthodes de travail du bois, des outils et des réflexions sur l’exploitation des ressources. En outre, une possible chaîne opératoire est discutée. L’utilisation presque exclusive du chêne (Quercus sp.) pour les revêtements de puits à section quadrangulaire indique une sélection délibérée de l’espèce, impliquant une connaissance experte des propriétés mécaniques du bois, également démontrée par des techniques de fendage élaborées. L’utilisation d’outils spécialisés pour des tâches spécifiques indique un haut niveau de spécialisation dans le travail du bois. Les différents types de joints illustrent la variété technique et la nature sophistiquée de la menuiserie du Néolithique ancien.


Le chaland-sablier de Bamako, en bois de pays (Mali) : 8000 ans d’innovations nautiques
Patrick Féron

Le Delta intérieur du Niger (Mali) assure la continuité de traditions nautiques millénaires. Cependant, l’unique trace archéologique de bateau en Afrique, la pirogue Dufuna vieille de 8 000 ans, est localisée au nordest du Nigeria. En conséquence, la connaissance des pirogues du delta intérieur est uniquement documentée à partir de sources écrites entre 1591 et 1967 et par l’analyse de figurations. Neuf modèles de pirogues, sculptées, cousues puis clouées, sont inventoriés entre Bamako et Tombouctou par cette méthode. Comparativement, l’actuel chaland-sablier de Bamako pose la question d’un métissage culturel avec des savoirs techniques anciens. Notre étude analyse la rencontre de deux traditions, l’une aborigène et l’autre exogène, qui s’est produite sur le fleuve Niger vers 1884. Elle reconstitue la trajectoire culturelle et technique du chaland-sablier construit en bois de pays à Bamako. L’enquête ethnographique détermine le processus de construction du chaland, en observant le travail du maître-charpentier Bozo. Cet homme de l’art est l’héritier d’un savoir-faire millénaire, qu’il pérennise aujourd’hui avec succès. L’étude a permis de dénombrer vingt-quatre essences forestières et plantes textiles utilisées pour la confection des bateaux. Elle démontre combien le delta intérieur du Niger a contribué à l’innovation nautique vernaculaire jusqu ’à maintenant.


Un aqueduc en bois de la fin du Ier siècle av. J.-C. à Aoste (Isère)
Fabrice Laurent, François Blondel, Tony Silvino

La fouille d’archéologie préventive, réalisée en 2017 dans le cadre du contournement routier d’Aoste (Isère), a permis de mettre au jour un aqueduc en bois extrêmement bien conservé. Les prélèvements réalisés dans treize planches, en vue de datations dendrochronologiques, datent l’abattage des chênes (Quercus fc) durant l’automne ou l’hiver 19 et 18 av. J.-C., chronologie corroborée par les données stratigraphiques et céramologiques. L’ouvrage traverse l’emprise de fouille sur une longueur de 32,40 m. Construit par section de 7,09 à 7,60 m de longueur, il met en oeuvre des planches massives dont la stabilité verticale est seulement garantie par l’étroitesse de la tranchée d’installation ainsi que par quelques traverses. Ces dernières supportent aussi les planches de couverture. Aucun élément de fixation, ni aucun système d’assemblage et d’étanchéité n’intervient. L’ouvrage n’a pas de fond construit. Il était probablement alimenté par la nappe phréatique en cet endroit. La bonne conservation de la structure ainsi que sa datation assez précoce, aux origines de l’agglomération antique du vicus Augustus, en font une découverte relativement exceptionnelle.


Le tournage sur bois gallo-romain dans l’ouest de la cité des Trévires : tracéologie des chutes et structuration de l’artisanat
Maxime Duval

Des fouilles récentes menées dans le vicus d’Arlon et dans la villa gallo-romaine de Mageroy (Belgique, province de Luxembourg), faisant anciennement partie de l’ouest de la cité des Trévires, ont livré de nombreux artéfacts en bois issus de puits et d’un bassin. L’identification du matériel a permis de mettre en évidence, outre des objets finis, un nombre important de chutes en lien avec la technique du tournage. La tracéologie de ces déchets permet une meilleure compréhension de la technique et des outils employés. D’autres sites localisés à proximité d’Arlon et de Mageroy, comme celui du Titelberg et du Château Renaud ont également livré précédemment du matériel xylologique dont des chutes et des produits finis issus du tournage. La variété des outils et des techniques identifiés conduit cependant à concevoir le travail du bois comme pratiqué localement de manière non spécialisée. Par ailleurs, la fréquence des traces de tournage laisse envisager la possibilité d’un artisanat itinérant en lien avec les besoins domestiques. A contrario, le site « Neu » dans le vicus d’Arlon indique la présence d’un atelier de travail du bois, localisé au sein d’un quartier artisanal du vicus. Au-delà du tournage, des produits d’autres techniques spécialisées de travail du bois sont identifiés dans la région et suggèrent des importations de produits finis plutôt qu’une production locale.


L’artisanat du bois illustré par une panoplie d’outils romains de la fin du IIIe / début du IVe siècle découverte à La Croix-Saint-Ouen (Hauts-de- France, Oise)
Dominique Canny, François Malrain

La fouille archéologique préventive d’un établissement rural romain réalisée sur le site « Les Jardins » à La Croix-Saint-Ouen (Hauts-de-France, Oise) a permis la découverte en contexte d’un trousseau majoritairement constitué d’outils. Au sein de cet assemblage singulier, 24 pièces (herminette, rabot, ciseaux, bédanes, mèches…) illustrent différents corps de métiers et activités liés au travail du bois à la fin du IIIe / début du IVe siècle. Leur présentation donne l’opportunité de mettre en perspective différentes thématiques : vocabulaire employé par l’archéologue ; rattachement à différentes étapes du travail du bois et à un corps de métier ; immuabilité des formes d’outils et des gestes associés ; comparaisons et propositions d’interprétation sur la signification de l’assemblage.


La nasse en osier (XIVe siècle) découverte dans l’Iton à Évreux (Eure), un rare témoin de la pêche à l’anguille
Christophe Petit, Philippe Fajon, Michelle Elliott, Margot Langot-Koutsomitis, Aurélia Borvon, Clément Menbrivès, Pierre Wech

Les fouilles réalisées dans le cadre du réaménagement de la place Sepmanville à Évreux (Eure), ont permis la découverte d’une nasse conique destinée à la pêche anguillère (longueur 106 cm, diamètre du col d’entrée de 26 cm). Fabriquée en osier brut (non décortiqué) probablement en saule blanc (Salix alba), elle est datée de la fin du XIIIe siècle ou du XIVe siècle. Il est très probable qu’elle ait été déposée au fond de la rivière, à la confluence de deux bras de l’Iton, et qu’elle ait été emportée lors d’une crue. Cette découverte complète l’inventaire français des nasses coniques destinées principalement à la pêche à l’anguille durant l’Holocène. En contexte de rivière et au pied des remparts de la ville, ce vestige permet d’aborder la question de la pratique de la pêche à l’anguille en vue d’une consommation urbaine médiévale et moderne. La présence de cette nasse s’inscrit dans le fort développement de la pêche durant ces périodes dans les villes du bassin de la Seine – dont les eaux présentaient des degrés de pollution importants – démontré par les études archéo-ichtyologiques.


L’usage du bois local en construction : évolution des outils face aux enjeux environnementaux
David Rodrigues-Soares, Yannick Sieffert, Thierry Joffroy

Cet article, issu d’un travail de thèse de doctorat sur l’usage du bois local en construction, questionne l’évolution récente des pratiques de la construction bois au regard de l’évolution historique des techniques et des enjeux actuels de développement soutenable. Les outils ont joué un rôle fondamental dans l’histoire de la mise en oeuvre du bois en construction. Après l’apparition des premiers outils, les méthodes de récolte, de transformation et d’assemblage ont été graduellement perfectionnées au fil des siècles. L’ère industrielle a permis d’automatiser certaines tâches, dont la récolte et le sciage, faisant évoluer les savoirs de la première transformation vers des processus industriels. Depuis la fin du XXe siècle, cette logique a engendré un changement de paradigme, avec pour effet une certaine optimisation des chaînes de production et plus de compétitivité, mais aussi des pertes en matière de savoir-faire et l’abandon d’une partie des ressources. Cependant, ces évolutions des modes de gestion, de récolte et de transformation du bois d’oeuvre engendrent des impacts environnementaux qui dépendent des choix faits par chaque acteur de la filière, avec une responsabilité particulière de la maîtrise d’oeuvre. En effet, les premiers résultats observés montrent que les choix des maîtres d’oeuvre pour les systèmes constructifs, les essences, leurs niveaux de transformation, ont un impact prépondérant au niveau de la faisabilité des projets en circuit court et sur tout le tissu économique, social et environnemental. Cette évolution apparaît pour certains être inexorable. Mais alors que notre monde se questionne sur son avenir, n’est-il pas plutôt temps de revisiter nos objectifs et nos pratiques, et notamment de vérifier si c’est la ressource qui doit s’adapter à l’outil ou bien l’inverse ?


Exploitation de la richesse en bois du Japon par quatre types de charpentiers
Mechtild Mertz

Quatre différents types de charpentiers (daiku) sont décrits, notamment par les essences de bois qu’ils utilisent. Le charpentier des temples et des sanctuaires (miya-daiku) doit chercher son bois très loin, le charpentier des maisons de thé et des résidences raffinées (sukiya-daiku) utilise du bois local, le menuisier des portes, des fenêtres et des écrans (tateguya) utilise également du bois japonais pour les finitions intérieures, et le choix du charpentier général (daiku) est présenté à travers trois exemples.


Percevoir les différences culturelles à travers le travail du bois : le cas des hampes d’armes de chasse ethnographiques de Patagonie australe
Gisèle Maerky

À la différence de nombreuses études en Préhistoire qui se concentrent sur la partie armatures des armes de chasse, cet article a pour sujet la hampe, c’est-à-dire le long manche en bois, élément rarement retrouvé sur les sites archéologiques. Afin de contrer le biais taphonomique, nous étudions ici des hampes ethnographiques (XIXe- XXe siècle), appartenant aux Yaghan et Kaweskar de Patagonie australe, des peuples qui ont perpétué un mode de vie de chasseurs maritimes jusqu’au début du XXe siècle. Cette étude repose sur la comparaison des chaînes opératoires avec l’objectif de démontrer comment l’étude du travail du bois peut, au même titre que la technologie lithique et osseuse, fournir des informations sur les artisans qui les ont fabriquées. Alors que ces deux groupes de Patagonie australe possèdent, a priori, une culture matérielle très similaire, leurs hampes ont été fabriquées de manière très différente. En effet, les deux groupes se distinguent par leur choix de type de bois, ce qui exerce une influence directe sur les premières étapes de la chaîne opératoire : l’abattage et le débitage de l’arbre. Par ailleurs, lors du façonnage, chaque groupe semble utiliser des techniques qui lui sont propres. Ces résultats nous poussent à réfléchir sur les différences culturelles et de stratégie économique qu’il pourrait y avoir entre les deux groupes.


Les usages culturels du Morinda lucida Benth. en Afrique
Mathilde Buratti, Marie-Claude Ledoux

Le Morinda lucida Benth. est un bois endémique d’Afrique réparti sur les deux tiers du continent. Il n’est pas menacé d’érosion génétique mais il est répertorié comme étant une espèce végétale essentielle aux sociétés autochtones accompagnant l’humain tant dans son quotidien que dans ses rites funéraires. Toutes les parties du bois sont utilisées : tronc, écorce, branches et racines. En fonction des caractéristiques climatiques, son apparence est variable allant d’un arbuste tortueux à un arbre avec un fût régulier de plus de vingt mètres de haut et de soixante centimètres de diamètre. Le Morinda lucida présente de nombreuses qualités qui lui permettent d’être une bonne essence pour le bois d’oeuvre : grain fin, bonne résistance à la pression, aux insectes et aux moisissures. Construction navale, charpente, mobilier ou statuaire peuvent donc être produits localement avec cette essence. Cependant, ses utilisations principales sont tinctoriales et médicales. La variabilité des savoir-faire couplée à la diversité de ses noms vernaculaires et aux proverbes qui lui sont rattachés sont des indices d’une essence à forte connotation symbolique et identitaire.

Autres numéros :

2023

Volume 23- 3

Numéro 1 :
Journées Bois


2021

Volume 21- 2

Numéro 1 :
Résilience et paysage


2019

Volume 19- 1

Numéro 1 :
Les carbonates archéologiques, mémoire des activités anthropiques