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Quel héritage du Design Thinking pour l’innovation ?


 

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Quel héritage du Design Thinking pour l’innovation ?

 

 

En 2009 sortait le livre Change by Design écrit par Tim Brown (Brown 2009) qui mettait au grand jour un certain nombre de success stories et en filigrane du livre, une approche méthodologique nommée le Design Thinking praticable par tous. Ce travail a émergé en même temps que d’autres travaux structurants sur le design et son utilisation plus globalisée (Cross 2006 ; Kimbell 2011 ; Rylander 2009) et s’est ancré dans des travaux antérieurs (Rowe 1994 ; Schön 1983)
Cette approche qui met l’accent sur l’approche par les usages a émergé au moment où les méthodes traditionnelles d’innovation basées sur le techno-push ou le market-pull connaissaient un certain essoufflement. En conjonction temporelle, les premières imprimantes 3D et fablabs connaissaient leur essor et démocratisaient l’accès à la technologie, ouvrant de nouvelles perspectives dans le low-tech. Dans cette dynamique, Standford en tête (Dunne et Martin 2006), un grand nombre de programmes académiques ont travaillé à intégrer le Design Thinking dans leurs cursus en particulier sur la dimension innovation pendant qu’un certain nombre d’entreprises privées s’emparaient du sujet pour diversifier/renouveler leurs pratiques d’innovation (Martin 2009).

 

 


Cette période peut être résumée ainsi par Stefanie Di Russo dans sa thèse « Within the design industry, the term is both embraced and rejected. Design thinking has erupted outside of design practice as a new approach for innovation and transformation, piquing the interest of leaders from business, education, government, through to not-for-profit organisations. […]. Yet, the wave of design thinking carries a sea of doubt over its success, applicability outside of traditional design practices, and above all, its definition.”

 

 


Après une décennie de pratiques diverses, de mises en application dans des contextes et environnements très variés, qu’en est-il aujourd’hui du Design Thinking qui a progressivement disparu des mots clés incontournables de l’innovation pour rentrer dans une forme d’anonymat ? Est-ce devenu une méthodologie parmi tant d’autres ? A-t-il fusionné avec d’autres méthodes ? S’est-il restreint à un objectif de production et d’émergence de la créativité ? Ou cette approche peut-elle être considérée comme adaptée aux problèmes systémiques complexes de grande échelle ?

 

 

Dès 2011, Bruce Nussbaum, pourtant l’un des plus fervents défenseurs du Design Thinking à ses débuts pointait la probabilité d’échec du Design Thinking (Nussbaum 2011). Plus récemment, Natasha Jen (Associée de Pentagram) retient du Design Thinking le Buzz généré à l’époque et un produit marketing créé par IDEO et Stanford lors de sa conférence intitulée « Design Thinking is Bullshit » (Jen 2017). Elle y regrette notamment le fait que les CEOs appliquent le Design Thinking comme ils utilisent les méthodologies du lean management : la mise en oeuvre du Design Thinking, à travers une approche souvent simpliste et linéarisée : “ Design Thinking packages a designer’s way of working for a non-designer audience by codifying their processes into a prescriptive, step-by-step approach to creative problem solving- claiming that is can be applied by anyone to any problem.” Lee Vinsel (Vinsel 2018), qui qualifie le Design Thinking d’au mieux insipide dans son article initialement intitulé “Design Thinking is Kind of Like Syphilis- It’s Contagious and Rots Your Brains”, met en garde contre le danger que représente le Design Thinking pour l’éducation qu’il résume à une dimension de commercialisation, de transformation de l’éducation en business de l’éducation. Jon Kolko (Kolko 2018) au regard de l’histoire du design et du Design Thinking, fait la synthèse suivante des dérives et faiblesses du Design Thinking : un processus itératif complexe drastiquement simplifié pour le rendre lisible, une trivialisation du rôle de la matérialisation, le recours à une empathie superficielle en lieu et place des immersions profondes et durables et enfin la préemption de cette approche par les métiers de la consultance avec une finalité de vente et non pas d’impact réel.

En résumé, pour reprendre les propos de Jon Kolko, le Design Thinking, au regard de ses racines historiques, semble manquer encore de nos jours de bricolage, des fondations intellectuelles et d’une capacité à produire des objets. La question est donc posée par ces praticiens et chercheurs : le Design Thinking a-t-il échoué dans ses promesses, ne reste-t-il aujourd’hui qu’une approche purement déclarative incapable de se structurer en profondeur au-delà de la superficialité de la juxtaposition d’éléments méthodologiques simplifiés empruntés au design ?

 

 

Cependant, Jon Kolko conclue son article de la manière suivante : “ Organizations seek silver bullets, and they’ve moved from the shiny objects of six sigma to agile to lean to design thinking. It is guaranteed that companies will move on from design thinking to the next big thing “.
En effet, le Design Thinking séduit encore de nos jours dans un contexte où les entreprises, institutions et organisations sont encore à la recherche de pratiques d’innovations permettant d’appréhender des systèmes de plus en plus complexes, globalisés, dématérialisés et mis en réseau. Le Design Thinking reste aujourd’hui ce que Donald Norman Redux en 2010 qualifiait de mythe utile. Il existe indéniablement aujourd’hui encore des travaux purement déclaratifs sur le Design Thinking, sans démonstration structurée et rigoureuse de son efficacité mais avec des résultats avérés. Les travaux de Liedtka (Liedtka 2017)dans ses travaux sur le Design visent à combler cette lacune au travers d’une étude systématique d’un panel de projet d’innovation dans 22 organisations différentes. De là, Jeanne Liedtka (Liedtka 2017) formule un ensemble de propositions permettant de définir comment les processus de Design Thinking améliorent les systèmes organisationnels d’innovation et s’inscrivent dans la durée. Ainsi, le Design Thinking en tant qu’approche intégrative semble pouvoir prétendre à une légitimité académique et conceptuelle.
Entre ces deux postures opposées vis à vis du Design Thinking, se trouve enfin un troisième ensemble de pratiques et de chercheurs : ceux pour lesquels le Design Thinking en tant que tel n’est pas une finalité mais plutôt un moyen, un outil de mettre en oeuvre des concepts plus généraux tels que la sérendipité (Danzico 2010), l’incertitude ou encore la transdisciplinarité (Moreno et Villalba 2018 ; Mieyeville et al. 2015 ; Cupps 2014).

 

L’objectif de cet appel est de donner la parole aux contributeurs de ces trois postures et de pouvoir s’interroger sur l’héritage du Design Thinking en 2020 et sur sa légitimité : est-il devenu insipide, reste-t-il un mythe utile, a-t-il su se transformer en outil déterministe essentiel ou s’est-il dilué dans les pratiques d’innovation ?

 

 


La revue attend des contributions sur les thèmes suivants :
- Évolution des pratiques du Design Thinking depuis les textes fondateurs de Tim Brown et Nigel Cross
- Quelle est la maturité du Design Thinking en tant que méthodologie éprouvée, formalisée et intégrable dans des processus d’entreprises ?
- Design Thinking, le cygne noir de l’innovation ?
- Quelle intégration du Design Thinking dans les Universités ?
- Success stories documentées de Design Thinking déployé de manière pérenne dans des programmes académiques, des pôles d’innovation,….
- Design Thinking : quel enseignement dans les cursus de Design, matière reconnue ou méprisée du design ?
- Design 4.0 ou les difficultés d’intégration du Design Thinking dans le « design dit traditionnel » (designer en agence ou designers intégrés)
- Pourquoi le développement du Design Thinking se poursuit-il majoritairement dans le management, le marketing, l’ingénierie alors que ces disciplines ont développé d’autres méthodes propres à leur culture (Méthode CK, SCRUM, lean, etc..)
- Design Thinking et Ingénierie/Business/Sociologie : quelle intégration de nos jours ?
- Makers et Design Thinking : une complémentarité évidente ?

 

 

Bibliographie
Brown, T. 2009. Change by Design : How Design Thinking Transforms Organizations and Inspires Innovation. NY : Harper Business.
Cross, Nigel. 2006. Designerly Ways of Knowing. Springer. http://www.springer.com/engineering/mechanical+engineering/book/978-1-84628-300-0.
Cupps, Edward Joseph. 2014. « Introducing Transdisciplinary Design Thinking in Early Undergraduate Education to Facilitate Collaboration and Innovation ». Master of Fine Arts, Ames : Iowa State University, Digital Repository. https://doi.org/10.31274/etd-180810-3385.
Danzico, Liz. 2010. « The Design of Serendipity Is Not by Chance ». Interactions 17 (5) : 16. https://doi.org/10.1145/1836216.1836220.
Dunne, David, et Roger Martin. 2006. « Design Thinking and How It Will Change Management Education : An Interview and Discussion. » Academy of Management Learning & Education 5 (4) : 512–523.
Jen, Natasha. 2017. Design Thinking Is Bullsh*t. https://99u.adobe.com/videos/55967/natasha-jen-design-thinking-is-bullshit.
Kimbell, Lucy. 2011. « Rethinking Design Thinking : Part 1 ». Design and Culture 3 (3) : 285‑306.
Kolko, Jon. 2018. « The Divisiveness of Design Thinking ». Interactions Magazine XXV (3).
Liedtka, Jeanne. 2017. « Evaluating the Impact of Design Thinking in Action ». Academy of Management Proceedings 2017 (1). https://doi.org/10.5465/AMBPP.2017.177.
Martin, Roger L. 2009. Design of Business : Why Design Thinking is the Next Competitive Advantage. Harvard Business School Press.
Mieyeville, Fabien, Renaud Gaultier, Jean-Patrick Péché, et Philippe Silberzahn. 2015. « A design-based approach research on innovation : from multidisciplinarity to transdisciplinarity ». In . Paris, France.
Moreno, Leonardo Andrés, et Erika Rogel Villalba. 2018. « Transdisciplinary Design : Tamed Complexity through New Collaboration ». Strategic Design Research Journal 11 (1) : 42‑50. https://doi.org/10.4013/sdrj.2018.111.07.
Nussbaum, Bruce. 2011. « Nussbaum, B. (2011, April 05). Design Thinking Is A Failed Experiment. So What’s Next ? Retrieved from Co.Design : » https://www.fastcodesign.com/1663558/design-thinking-is-a failed-experiment-so-whats-next (blog). mai 2011.

Rowe, Peter G. 1994. Design thinking. 5th print. Cambridge, Mass. London : MIT Press.

Rylander, Anna. 2009. « Design Thinking as Knowledge Work : Epistemological Foundations and Practical Implications ». Design Management Journal 4 (1) : 7–19. https://doi.org/10.1111/j.1942-5074.2009.00003.x.
Schön, Donald A. 1983. The Reflective Practitioner : How Professionals Think in Action. New York : Basic Books.
Vinsel, Lee. 2018. « Design Thinking Is a Boondoggle ». The Chronicle of Higher Education, mai 2018.

 

 


Calendrier :
-Soumission des résumés (1,5 page + bibliographie) : 31/12/2019
-Soumission des textes finaux : 30/04/2020
-Acceptation finale : 30 septembre 2020
-Parution : 1er semestre 2021

 

 

Biographie des porteurs de l’appel :

 


Fabien Mieyeville
Ingénieur diplômé de l’École Centrale Lyon en 1998, il a obtenu son doctorat en électronique intégrée en 2001. Il est actuellement Professeur des Universités à Polytech Lyon (UCBL) et chercheur au laboratoire Ampère UMR CNRS 5005.
Enseignant chercheur transdisciplinaire, ses recherches couvrent à la fois le domaine de l’intelligence ambiante et de l’internet des objets, les méthodologies de conception hiérarchique de systèmes multiphysiques hétérogènes communicants, et celui de la transdisciplinarité et de l’innovation par le Design Thinking. Spécialiste de la transdisciplinarité, il s’intéresse aussi bien aux vecteurs de l’innovation en milieu industriel et économique que dans le champ de la pédagogie et de l’enseignement. Il a été co-créateur du Programme I.D.E.A. (Innovation Design Entrepreneuriat et Art) qu’il a dirigé de 2012 à 2016 et est actuellement Directeur des Formations à Polytech Lyon.

 

 


Sandra Fagbohoun
Docteur en Anthropologie (2006), convaincue de la pertinence de l’apport des sciences humaines dans les problématiques du champ de l’innovation, elle complète actuellement un doctorat en Sciences de Gestion sur le Management de
Après avoir travaillé dans la gestion de projets de développement international, elle est devenue responsable du Projet d’implémentation du Design Thinking dans les pays BoP, au sein du programme I.D.E.A. partagé par EM Lyon et Centrale Lyon. Elle exerce aujourd’hui à l’ESDES Business School, où elle occupe la fonction de Responsable académique et de la recherche du département Economy & Society. En parallèle, elle exerce des activités de conseil en entreprise sur des enjeux de conduite du changement et du développement de l’innovation.
Ses travaux de recherche visent à caractériser l’impact du contexte organisationnel sur le management de la créativité et de l’innovation, en particulier à travers des méthodes et outils qui sont en pleine expansion actuellement dans les organisations (Fablab interne, Design Thinking).

 

 

Jean-Patrick Péché
Designer diplômé en 1975 de l’ENSAAMA (École Nationale Supérieure des Arts appliqués et des Métiers d’Art, premier cours de design fondé en France en 1953), il est formateur et consultant en management de l’innovation par le Design Thinking, fondateur associé e Anonymate, société d’innovation et de conseil pluridisciplinaire. Il a mené une carrière de designer de plus de 40 ans de pratique professionnelle dans des secteurs d’activités très divers, couronnée par de nombreux prix de design internationaux. Il a ainsi pu observer, accompagner et parfois initier les évolutions du design dans son métier au travers des 3 agences qu’il a créées et des nombreuses formations qu’il a conçues ou accompagnées. Après avoir été directeur du design de l’École de design Nantes Atlantique, il a été le co-créateur du Programme I.D.E.A. (Innovation Design Entrepreneuriat et Art), le premier programme de formation post-bac par et pour le Design Thinking. Il est actuellement co-créateur de formations executive pour Polytechnique, ENSCI, EMLyon et a participé ces dernières années à de nombreux travaux de recherche sur le design et le Design Thinking, la transdisciplinarité et l’innovation dans le monde industriel au niveau national et international. Il est à ce jour un des spécialistes du Design Thinking français.

 

 


Sébastien Poussielgue
Diplômé de l’École Supérieur de Design Industriel (ESDI Paris, 1993), il travaille au sein du bureau d’étude du groupe Parisot en tant que créateur de mobilier. Il rejoint le groupe Lafuma en 1996 dans le service R&D pour prendre la responsabilité du pôle mobilier et équipement ainsi que le suivi de la structure de développement Asie. En 2000, il crée sa propre agence de design global PS Design ainsi qu’une structure industrielle de développement WE Groupe Europe basée en France, en Chine et à Hong Kong. Créateur d’une marque de sacs étanches, il a été récompensé de divers prix de design nationaux. Il poursuit actuellement une carrière de Design manager-consultant en innovation, a été responsable du Programme I.D.E.A. en parallèle d’une activité de Formateur et accompagnateur d’entreprise dans leur processus d’innovation. Membre du comité stratégique de l’Ensci (École Nationale Supérieure de Création Industrielle), il est depuis 2018 vice-président de l’AFD (Agence France Design ) premier syndicat français du design en France et ancien président de la Fedi, Fédération des designers industriels.